Dans les provinces productrices de thés verts à l’est de la Chine, le mois de mars représente une période très importante puisque sa météo va déterminer le début des premières récoltes de l’année. Et en cette année 2015, le mois de mars fut d’abord très froid et peu ensoleillé. Dans la plupart des zones de production, les théiers restaient donc endormis et on présageait que les premières récoltes ne seraient pas particulièrement précoces, contrairement à l’année dernière. En 2014, les premières cueillettes avaient commencées très tôt, aux alentours du 14 mars. Cette année, pas de bourgeons nouveaux à prélever avant le 17 mars, et dans certains coins seulement. Autour du fameux Lac de l’Ouest à Hangzhou, les récoltes de Long Jing ont débuté le 20 mars… Quelques jours après les premières récoltes, les provinces du “triangle d’or des thés verts”, situé sur les provinces de Jiangsu, Anhui, Zhejiang et Jiangxi, ont connu un épisode caniculaire de 3 ou 4 jours suivi d’orages et de pluies. Des conditions météorologiques particulièrement difficiles pour le thé. En effet, de trop fortes chaleurs donnent des bourgeons trop gros ayant poussé trop vite, et les fortes pluies nuisent à la qualité du thé. La maîtrise des producteurs est ainsi mise à rude épreuve. Et c’est bien dans ces cas-là que l’on peut apprécier l’immense talent de certains paysans. Bref, la période d’avant Qing Ming, qui produit les thés verts les plus convoités n’a pas été évidante, causant beaucoup de stress aux paysans, mais aussi aux acheteurs puisque les très bons lots ne seraient pas si nombreux. Après Qing Ming, la météo a continué à faire des siennes… De nombreux paysans affirment que pendant l’année de la Chèvre, la météo printanière est souvent chaotique.
Pluie à Mei Jia Wu. Mieux vaut rester à l’abri. |
Les paysans sérieux ne récoltent pas les jours de fortes pluies non seulement car des feuilles trop mouillées ne se prêtent absolument pas à une fabrication harmonieuse, mais aussi parce que les grosses gouttes de pluie abîment les tendres et jeunes pousses. En se rendant dans les lieux de production les jours de grande pluie, on peut voir que dans certains jardins, les cueilleuses sont à l’oeuvre, alors que d’autres restent déserts. Certaines pratiques sont ainsi très faciles à vérifier. D’autre part, si les feuilles n’ont été que légèrement mouillées par une pluie fine, elles sont récoltées et mises à flétrir dans des conditions particulières (dans de gros caissons ventilés, les feuilles sont disposées sur une sorte de gaze épaisse. Voir la photo ci-après). Néanmoins, ces feuilles-là ne constitueront jamais un thé haut de gamme. De même, lorsque les feuilles et bourgeons sont trop gros à cause de la chaleur, les producteurs consciencieux font un travail de tri énorme (encore plus que d’habitude), et les pertes sont conséquentes. Mais pour maintenir un haut niveau de qualité, il faut en passer par là.
Système de flétrissage pour les feuilles mouillées permettant de les sécher rapidement. |
Les thés de 2015 sont donc globalement assez différents des 2014. Mais quoi de plus logique pour un produit de la nature ? Cela dit, une fois encore, les paysans talentueux arrivent à produire des thés franchement magnifiques. Et c’est toujours un moment magique que de découvrir nos crus préférés sous un jour nouveau. Que va donner le théier dans certaines conditions ? Comment les paysans vont ils s’adapter et sublimer les jeunes feuilles obtenues dans ces dites conditions ? Qu’est-ce qu’un même cru va nous révéler, quel aspect de sa personnalité va-t-on découvrir ? Et aussi, qu’allons nous découvrir de nous-même, en tant que dégustateur, grâce à ces thés nouveaux ? La période exquise pendant laquelle on déguste les toutes premières récoltes de printemps permet d’en apprendre beaucoup sur la relation que nous avons avec le thé.
Jardins de Tai Ping Hou Kui. |
Il est vraiment fascinant de voir le travail des paysans lorsque les conditions sont difficiles, on peut alors observer toutes les stratégies nécessaires pour obtenir des thés de qualité, et ainsi constater le niveau d’exigence des producteurs. Mais cette exigence doit aussi être perceptible quoi qu’il arrive. Pour citer un exemple, à Jing Shan (Zhejiang) au début du mois d’avril, le moine responsable du thé était quelque peu fâché lorsqu’il triait les feuilles pendant le flétrissage, car certaines d’entre elles présentaient des traces d’oxydation (et un moine fâché, ça ne fait pas rire !). En effet, les cueilleuses avaient tenu les feuilles trop longtemps dans leurs mains avant de les placer dans leurs paniers. Et, la chaleur produite au creux de leurs mains avait tout simplement activé un processus d’oxydation, très visible sur le contour des feuilles. Dommage qu’il ai fallu les éliminer, car ces feuilles et bourgeons avaient pourtant été bien cueillis. Cet exemple nous montre surtout que certains producteurs maintiennent un niveau d’exigence élevé à chaque instant, quelles que soient les circonstances. Il ne faut pas oublier que tous les producteurs n’ont pas ce sens du détail.
A Dong Shan, les théiers Bi Luo Chun partagent la terre avec les néfliers bien sûr, mais aussi les choux, les salades, le colza… |
Cette année, les aléas de la nature ont souvent laissé des traces sur les feuilles de thé : quelques irrégularités, quelques contours un peu brunis par de trop grands écarts de températures, etc… ce qui est parfaitement naturel et tolérable dans une certaine mesure. Tout cela peut être observé sur les feuilles infusées. N’oublions jamais d’observer les feuilles de thé, à la fois pour y découvrir un certain nombre d’informations, mais aussi pour le pur plaisir de la contemplation. C’est d’ailleurs pour cela que la préparation des thés verts dans un verre reste évidemment la solution préférée des Chinois. Cette méthode conjugue simplicité, efficacité et raffinement.
Secteur de Fu Xi, terre d’origine de Huang Shan Mao Feng. |
Acheter du thé en Chine n’est pas une chose difficile dans les lieux de production. Il existe de nombreux marchés, qu’ils soient destinés aux professionnels ou aux particuliers, mais aussi des usines, des coopératives, etc… Il y a en fait un certain nombre de “sentiers battus” par lesquels il est possible, avec de la chance et du discernement de trouver de bons thés, parfois même très bons. Et, tout acheteur potentiel sera toujours dirigé dans ces circuits de distribution. Pour citer un exemple facile, si vous vous rendez à Hangzhou, et que vous souhaitez acheter du Long Jing dans les petites montagnes alentours, on vous enverra systématiquement chez les paysans du village de Long Jing, où se trouve le Pic du Lion (Shi Feng). Malheureusement, c’est bien là que vous aurez le plus de chances de trouver du très bon vrai faux Long Jing, fabriqué avec des machines à partir de feuilles provenant d’une province voisine. Ainsi, pour trouver les thés alliant haute qualité et authenticité (terroir et fabrication), il est nécessaire de sortir de ces circuits-là. C’est alors que les choses deviennent beaucoup plus complexes puisqu’il faut, entre autre, connaître les bonnes personnes. Construire des relations de confiance, avoir le bon réseau de connaissances est un travail de longue haleine, et rien n’est jamais acquis. Il faut sans cesse faire ses preuves. Néanmoins, c’est la seule manière pour avoir accès à des thés authentiques.
Avec l’eau et la chaleur sont apparus quelques champignons dans les jardins de thé. |
Feuilles de Jing Shan Mao Feng dans une salle du Temple. |
Comme toujours, les thés verts fraîchement récoltés apportent une bonne dose d’optimisme et d’énergie. Leur beauté, leurs parfums et saveurs, leur richesse en principes actifs nous immergent dans le renouveau du printemps, et nous apportent de nombreux bienfaits. La vitalité et la pureté des thés verts Ming Qian, tant recherchée par les connaisseurs chinois, se savoure lentement et par petites gorgées, dans la sérénité. L’aspect visuel et le parfum sont aussi importants que la saveur ou la longueur en bouche. Une dégustation réussie permet de s’imprégner de l’essence même du thé, qui, dans le cas des thés verts nouveaux, apporte un élan formidable au corps et à l’esprit.
Laissez un commentaire