Historiquement, le thé est rattaché aux rituels religieux, depuis les temps anciens. Il est utilisé comme offrande depuis sa découverte. Le développement du thé en Chine, puis en Corée et au Japon, ne peut s’appréhender en dehors de ce lien spirituel historique.
Encore aujourd’hui, le thé est considéré comme une Voie de réalisation pour l’être humain. Sa vibration particulière et absolument unique touche directement le coeur des hommes. Aucune autre plante ne connait un parcours aussi singulier et universel. Toutefois, lors de sa découverte par les occidentaux, il fut totalement coupé de sa racine originelle, et donc de sa dimension spirituelle. Il aura fallu du temps pour que la nature profonde du thé s’exprime, ne serait-ce qu’un peu, dans le monde occidental. L’idée de Voie du thé reste encore méconnue.
La notion de Voie prend sa racine dans la Chine taoïste ancienne. Le thé représentait le lien avec la nature et était considéré comme un élixir de longévité, symbolisant la vie éternelle, et s’associant naturellement à la Voie. Mais pour les chinois, la Voie ne peut s’exprimer par les mots, même les plus savants. Elle revêt donc un aspect fort insondable. En bref, on ne peut parler de la Voie (Dao) : “Voie que l’on énonce n’est pas la Voie véritable” disait en substance, Lao Zi. La pratique de la Voie du Thé en Chine reste nimbée de mystère, puisqu’on en parle pas. Il faut bien comprendre cela pour s’apercevoir de toute la subtilité de la pensée chinoise. La version japonaise comprend une dimension plus visible, puisque la Voie (Do) peut être une pratique souvent très codifiée (et elles sont nombreuses) que l’on montre, et dont le niveau de réalisation est quantifiable. La forme coréenne insiste sur l’implication quotidienne, la liberté, la fluidité. Malgré ces différences culturelles, l’esprit du thé reste toujours le même.
La Voie du thé s’est nourrit des courants traditionnels chinois taoïstes, confucianiste et bouddhiste. Et c’est en relation avec le bouddhisme chan, qu’elle se propage plus encore en Chine, en Corée et au Japon. On ne peut pas ne pas évoquer ici, la légende de la découverte du thé par Boddhidarma, premier patriarche du chan (zen en japonais, seon en coréen) qui s’était coupé les paupières après s’être assoupi en méditation assise, alors qu’il s’était juré de ne pas dormir pendant la totalité de la durée de son ascèse… Les paupières au sol avaient donné naissance à de mystérieux buissons: des théiers… En goûtant les feuilles, il s’aperçut qu’elles avaient le pouvoir de tenir éveillé. Bien que cette histoire soit une légende, elle montre bien ce lien privilégié entre chan et thé, depuis le commencement. En Chine, on dit: “thé et chan sont un”.
La plupart des grands crus chinois sont liés au Bouddhisme. Souvent parce que un ou des moines sont à l’origine de leur culture et de leur fabrication. Le thé s’est imposé comme un allié puissant pour la santé globale de l’homme et pour soutenir les ascèses spirituelles les plus rigoureuses. Il est la boisson de l’éveil qui permet de garder un esprit clair et affuté, un corps pur et sain. C’est pourquoi les moines ont cultivé cette plante avec une grande implication. Concrètement, dans les temples, le thé est certes utilisé comme une offrande, mais il est aussi servi de manière rituelle, chaque jour. Il existe de nombreux exemples connus pour illustrer le lien entre Bouddhisme zen et thé (les personnages célèbres du thé pratiquent le zen, et inversement, etc…) donc, inutile que je radote cela ici. Aujourd’hui dans certains temples chinois et coréens, la vie des moines s’articule entièrement autour du thé.
La Voie du Thé reste une pratique quotidienne, dont l’esprit se vit à chaque instant. Certes, l’esprit de la Voie s’exprime à travers les cérémonies et l’art du thé. Mais il s’exprime aussi chaque jour, à travers chaque action, même la plus banale. Celui qui s’engage dans la pratique vise la réalisation de lui-même en utilisant le thé comme support. La préparation du thé devient alors un exercice spirituel. Les accessoires sont comme le prolongement de soi, et les gestes s’accordent tranquillement au rythme des respirations. Il faut une implication totale. Pour favoriser la concentration et le silence intérieur, on ralentit sa gestuelle et on tente de ne faire aucun bruit superflu. Attitude qui doit se prolonger dans toute action quotidienne.
De même que la Voie est ouverte à chacun, chacun est tenu d’observer l’esprit de la Voie. A partir du moment où l’on est engagé dans une pratique, il faut en respecter les principes. Le thé se pratique donc comme une méditation classique. Et c’est cette pratique de la méditation qui ouvre une profonde compréhension de soi-même, de la vie, de l’univers… En regardant à l’intérieur de soi, on trouve une juste discipline, et on observe naturellement les principales vertus du thé:
Harmonie
Respect
Pureté
Silence
Quelle que soit la forme de la Voie, quelle soit visible ou discrète, ses vertus restent les mêmes. Qu’elles s’expriment lors d’une cérémonie ou dans la vie quotidienne, elles induisent d’autres valeurs, comme l’humilité, la tolérance, la souplesse, la sérénité, la bienveillance…
C’est dans cet esprit de tolérance qu’on considère que les gens du thé forment une seule grande famille, partageant les mêmes valeurs. Ce lien puissant peut aussi être perçu sur le web. Internet permet d’étendre l’esprit du thé. Il faut avoir conscience de ce lien, même virtuel, pour en maintenir l’équilibre.
La cérémonie chinoise Wu Wo (sans égo) célèbre cette union des gens du thé. Elle permet de donner et de recevoir, sans jugement aucun, à travers la préparation du thé. Cette cérémonie silencieuse dévoile en toute simplicité la quintessence de l’esprit du Thé et de la Voie.
Lorsqu’on pratique le thé dans l’esprit de la Voie, on ne convoite rien, on ne s’attache pas aux désirs. En revanche, on recherche le vide, la non pensée d’où peut émerger notre nature originelle. Finalement, il n’y a rien de mystique dans tout cela. Il s’agit d’un cheminement intérieur, d’une voie que l’on suit pour se réaliser, au delà des croyances, des habitudes et des modes de pensée.
Je vais maintenant cesser de tenter d’exprimer l’inexprimable. Sinon, Lao Zi va réellement finir par se fâcher !
6 commentaires sur “La Voie du Thé”
Nicolas
Bonjour Charlotte,
Merci de cet article fort. Oui le thé et la spiritualité sont liés. Que le lecteur se rassure il n'est pas nécessaire de "croire" pour boire du thé; mais … ça aide.
En tout cas c'est mon expérience perso!
Que les Bouddhas soit avec toi.
Amitiés
Nicolas
Unknown
Bonjour Charlotte,
Eh bien dis donc ! Tout cela paraît évident quand c'est exprimé avec autant de talent (tant pis pour le vieux Lao Tse). Tes photos sont tellement belles, elles nous emportent dans ces lieux de sérénité. C'est où ?
Et comme dirait Nicolas "que les bouddhas soient avec toi".
Merci pour cet article.
Amitiés
tantameno
Charlotte Billabongk
Bonjour,
Nicolas, je comprends ton point de vue. Et je te souhaite un excellent cheminement… La liberté de croire ou ne pas croire est précieuse.
Tanta Meno, les photos sont prises en Chine, certaines dans le Zhejiang (notamment au temple de Ling Yin, qui m'est si cher) et dans le Fujian.
Merci pour vos commentaires. Et que les bouddhas soient avec vous aussi.
Bien à vous.
Charlotte
Unknown
Merci pour cette histoire passionnante… alors que je m'apprêtais moi même à raconter l'histoire (du moins en partie) du thé vert (sur mon mini blog http://www.bienfaitsthevert.com), ma boisson de prédilection. Hum… Je vais peut être quand même m'y atteler, c'est tellement passionnant !
Charlotte Billabongk
L'histoire du thé est complexe. Se plonger dans tout cela reste passionnant et permet de comprendre bien des choses.
Unknown
Oui j'imagine bien !