Comme beaucoup d’entre nous, je consacre habituellement les théières en terre à une seule famille de thé. Il faut dire que c’est la manière courante de procéder et que cela comporte des intérêts indéniables. Mais il y a environ une année maintenant, les circonstances m’ont amené à faire une expérience fort intéressante, qui allait quelque peu ébranler cette certitude. Je vous épargne les détails, car ce qu’il faut savoir, c’est que je me suis retrouvée avec une kyushu de Tokoname cassée, au niveau de la poignet et du petit bouton du couvercle. Après une minutieuse réparation à la super colle (en effet, les parties endommagées ne seraient pas en contact avec l’infusion), me voilà dotée d’une nouvelle théière, d’environ 0,3L. J’ai déjà ce type de kyushu, mais de plus petite taille, que j’utilise exclusivement pour les thés verts japonais…
Ce dont j’ai surtout besoin, c’est d’une théière “à tout faire”, polyvalente, toute simple. Voilà comment cette fameuse kyushu en terre cassée va naturellement finir par préparer tous types de thé, remettant en cause, au fil des utilisations, une croyance un tantinet figée : théière en terre = une seule famille de thé. Cela s’est tout d’abord fait sans vraiment y réfléchir. Puis, je me suis interrogée.
Cette théière n’est pas des plus poreuse, bien qu’étant en terre. J’y infuse toutefois des thés rouges, des Pu’er, des wulongs, des verts, sans interférences. Chaque liqueur présente ses caractéristiques propres, sans goûts résiduels de la précédente (contrairement à ce que je pensais). Il faut dire que je la nettoie avec rigueur, à l’eau très chaude, après chaque utilisations (ce qui n’explique surement pas tout). Bref, cette expérience aura déjà eu le mérite de m’assouplir sur une vieille vue de l’esprit. Je revois donc ma position, qui était sans doute un peu rigide. Je ne vais pas complètement changer d’avis pour autant, mais simplement “mettre de l’eau dans mon vin” (ou : “différents types de thés dans ma théière en terre” !). D’un autre côté, j’aime que mes théières de Yixing, par exemple, soient consacrées à un type de wulong, pour l’osmose incomparable qui se produit. Et, quoi qu’il en soit, j’apprécie les théières et les accessoires pour le thé, surtout lorsque je m’en sert, donc, avoir plusieurs théières est aussi un véritable plaisir, il faut bien l’admettre.
Ce que j’aime moins, c’est quand ce genre d’affirmation (une théière pour chaque thé) devient un argument purement commercial qui sonne comme une obligation et sert à vendre plus de théières. Aujourd’hui, j’ai au moins la preuve que certaines théières en terre peuvent convenir pour préparer différents types de thé. Comme quoi, rien ne vaut l’expérience directe. Et, je suis contente d’avoir pu assouplir un point de vue, qui de surcroit n’émanait pas de mon expérience personnelle. Le plus drôle, c’est que ce sont les circonstances de la vie qui m’ont poussé sur le chemin de cette expérience, car sans cette kyushu cassée, aurai-je osé remettre en question cette croyance ?
Je me dis souvent qu’il faut éviter de généraliser, puisque chaque cas est unique. De même, diffuser des idées que l’on a pas expérimenté, comporte le risque de s’identifier à des croyances qui ne sont finalement pas les nôtres. S’assouplir intérieurement permet de se rapprocher un peu plus de l’esprit du thé, fluide et libre. Parce que rien n’est plus puissant que les barrières que l’on s’impose à soi-même, et bien souvent de manière inconsciente.
Je suis toujours émerveillée de constater la finesse des enseignements prodigués par le thé.
8 commentaires sur “S’assouplir”
Unknown
Expérience intéressante et belle conclusion.
Dans son « Traité des choses superflues » (1620-1267), Wen Zhenheng plébiscite les théières en argile car elles ne donnent aucun goût ni aucun parfum à l’eau et donc n’interviennent pas sur le goût du thé. Comme quoi…
Au-delà de l’aspect commercial, qui en Chine plus que dans n’importe quelle culture a très tôt été intimement lié au monde de la création, l’idée de consacrer une théière par thé me semble davantage liée à un raffinement de collectionneur qu’a une exigences gustative. Et c’est certainement les mêmes motivations qui incitent certains amateurs, dont je suis, à consacrer une type de coupe par catégorie de thé.
Jolie histoire donc que celle de cette théière qui, comme pour se faire pardonner de son léger handicap, à eu la délicatesse de t’offrir cette précieuse expèrience.
Charlotte Billabongk
Finalement, cette théière que je n'aurai pas spécialement choisie, s'est révélée bonne conseillère. En tout cas, il faut croire que Wen Zhenheng avait fait des expériences similaires…
Et c'est vrai, on aime les objets du thé pour leur valeur esthétique, et donc, pour le bonheur qu'ils procurent au quotidien. Au delà du goût, il y a une alchimie entre le thé, les accessoires, et l'être humain.
vacuithe
A relativiser tout de même, car j'ai quelques contre-exemples très flagrants.
Je n'oublierai jamais un superbe Long Jing, dont j'avais tenté l'infusion dans ma Tozo (kyusu consacré aux sencha). Le résultat était… atroce.
Unknown
Ah, vu l'expérience que tu as en matière de théière, je préfère te faire confiance sur ce point.
David
Pour moi il y a des terres qui acceptent ce genre de traitement, et d'autres moins. Mais quand on a une terre dense, qu'on ne fait pas d'infusions de 12 heures, et qu'on rince à l'eau bouillante juste après utilisation, on peut se faire plaisir un moment.
Cela dit, je suis d'accord avec le "raffinement du collectionneur", jolie tournure pour désigner un bon alibi à l'achat compulsif de théières.
David (avec son tout nouveau kyusu juste sorti de sa boîte, qui j'espère ne se cassera jamais…)
Charlotte Billabongk
Effectivement, toutes les théières en terre ne pourraient supporter une telle polyvalence. Simplement, il ne faut pas être catégorique, ce qui était mon cas sur ce sujet précis, avant cette expérience. En regardant bien, on s'aperçoit facilement des différences qui existent entre les terres (composition, cuisson…) Le mot d'ordre est bel et bien : relativiser. Car même si cette kyushu là reçoit de nombreux types de thés, je n'irai pas faire de même avec mes autres terres.
vacuithe
Oui, relativiser, je ne fais que ça. D'ailleurs je n'ai qu'une seule règle fiable en matière de thé, c'est qu'il n'y pas pas de règle 🙂
Charlotte Billabongk
Bien vrai !