Bien qu’il soit fort difficile de parler de méditation, je vais quand même le faire. En la matière, rien ne vaut une expérience directe. Et c’est justement parce que le thé peut conduire à vivre cette expérience que je voulais en parler. Je dirai même que son intérêt premier réside bien là. La dimension spirituelle du thé n’est finalement que très peu considérée en Occident, où elle est même parfois déformée ou mal comprise, quand elle ne sert pas carrément de gros égos en mal de reconnaissance. Il ne suffit pas de se draper d’une pseudo aura de grand gourou pour jouer les maîtres de thé (mais enfin ça, c’est une autre histoire). En Chine, en Corée et au Japon, le thé porte des valeurs spirituelles liées au Bouddhisme Chan. Et il n’y a rien d’inaccessible ou de mystérieux dans cette approche. Au contraire, c’est tout simplement naturel, concret et limpide. On parle de méditation et non de divagations créées par le mental. Bien entendu, chacun reste libre d’explorer cette dimension, ou pas.
Minuscule temple dans un village de montagne où le thé est au coeur de la vie des habitants. (Huang Shan, Anhui) |
Pour soutenir la réalisation de soi, on peut pratiquer la méditation assise. Mais cela ne suffit pas, si l’esprit de la méditation ne se prolonge pas dans les activités de la vie. La culture de la pleine conscience doit donc faire partie du quotidien. Et la préparation du thé se prête particulièrement à la méditation dans l’action. Travailler la présence à soi-même devient alors une constante naturelle et évidente, grâce à l’esprit du thé. En effet, même sans s’en rendre compte, la préparation de ce breuvage incite à l’élaboration d’un rituel qui conduit à cultiver une certaine qualité de conscience. Lorsque l’on met l’intention juste dans sa pratique du thé, on travaille sur son être profond avec spontanéité.
Le thé est La boisson de la méditation depuis les temps anciens. On comprend aisément pourquoi, puisqu’ il permet de garder un esprit vif et clair, il dynamise le corps et apporte du réconfort. Bref, il soutient l’ascèse. Il évoque aussi la sérénité et la paix. D’autre part, la préparation du thé est un art qui représente une formidable occasion pour travailler sur soi, mais aussi sur la lenteur, la fluidité du geste, la concentration, la beauté, le silence… On agit sur ce qui se trouve à l’intérieur de soi, lorsque l’on manipule les objets du thé avec précaution et délicatesse. Si à cela, on ajoute une attention particulière à l’observation du va et vient de son souffle, on entre dans la méditation, telle qu’elle est enseignée et pratiquée dans toutes les écoles bouddhistes.
Concrètement, pour mettre en application une méditation dans l’action, il suffit de s’inspirer des consignes de la méditation assise. Il faut tout d’abord considérer l’aspect physique, car le positionnement du corps va aider à calmer et discipliner le mental. La colonne vertébrale doit être bien droite (mais pas raide), la tête dans le prolongement de cet axe, digne et souple. Tous les muscles sont détendus (ceux du visage aussi). La posture reste extrêmement importante pour que les mouvements liés à la préparation du thé soient harmonieux et que l’esprit soit serein. Il faut aussi judicieusement préparer tous les accessoires dont on aura besoin pour la préparation du thé. Lorsque tout est prêt, au son de la bouilloire, on peut tranquillement s’absorber dans le va et vient de sa respiration, et laisser les pensées (qui ne manquent pas d’arriver) pour ce qu’elles sont, sans s’y accrocher. Devenir simple spectateur de son mental grâce à la force de la concentration. Le silence extérieur favorise bien sûr la quiétude intérieure. Il est donc important de s’occuper du cadre dans lequel on pratique, mais cela ne doit pas non plus représenter un frein. Car peu importe les circonstances extérieures lorsque l’on est motivé.
Dans cet état de pleine conscience, la préparation du thé peut commencer. La lenteur favorise toujours la concentration. Les accessoires deviennent le prolongement de soi, le thé également. On s’absorbe dans chaque action; les gestes sont précis, fluides et proviennent de notre centre. Seule compte la plénitude de l’instant. La méditation se prolongera naturellement pendant la dégustation. Le thé pourra ainsi pleinement se révéler.
HE, Harmonie
JING, Respect
QING, Pureté
JI, Silence
Au fil des jours, on va découvrir bien des choses sur le thé et sur soi-même, néanmoins pour cela, il ne faut rien attendre. Notre esprit doit rester désintéressé, libre et totalement ouvert. On travaille la présence à soi-même, la présence au présent, c’est tout. De plus, cette méditation permet de réaliser et de vivre les vertus du thé, plutôt que de les comprendre intellectuellement.
Bref, pratiquer la préparation du thé comme une méditation offre la découverte de nouvelles profondeurs en soi-même, et donne au thé une toute autre saveur. En effet, il ne faut pas oublier que le thé que nous préparons révèle fort bien notre état intérieur, et lorsque nous travaillons sur celui-ci, nous influençons considérablement la liqueur que nous obtenons. D’autre part, cette pratique affine les sens et permet de percevoir plus nettement le Qi particulier de chaque thé.
Dans ce temple datant de la dynastie Song, le thé rythme la plupart des activités du quotidien, de la culture aux rituels de préparation, en passant par les offrandes. (WuYi Shan, Fujian) |
La pleine conscience peut s’appliquer à de nombreuses activités. Mais le thé, avec son esprit vivant et pure, invite naturellement à suivre cette discipline qui se répercutera d’ailleurs dans tous les autres domaines de la vie, et à chaque instant. Ce n’est pas un hasard si bouddhisme chan (zen) et thé sont si intimement liés: ils partagent le même esprit. On peut cependant pratiquer la Voie du thé et la méditation sans être rattaché à une religion, quelle qu’elle soit. Néanmoins, il ne faut pas oublier que certains rituels ou cérémonies pratiqués en Chine, en Corée, et au Japon incarnent purement et simplement cette union entre bouddhisme et thé, reflétant parfaitement ce travail de pleine conscience.
Le thé, dans sa grande complexité, comprend de nombreuses facettes et nombreuses sont celles que nous pouvons comprendre grâce à notre intellect. Cependant, le thé ne peut se réduire à la compréhension intellectuelle seule. Pratiquer la méditation, dans l’immobilité et le mouvement, donne accès à une compréhension profonde du thé au delà de toute considération subjective. Là, il ne s’agit plus que de la boisson, mais bien de l’essence même du thé, de son esprit, qui nous permet de découvrir notre nature profonde, si nous le souhaitons ardemment. Il est simplement question de s’ancrer dans le moment présent pour vivre la réalité du thé.
6 comments
Unknown
Beautiful post. Thank you.
Charlotte Billabongk
Thank you too.
Paul
Merci Charlotte de nous éclairer par cet article limpide et magnifique. La pratique du thé offre décidément d'infinies perspectives et incite à la plus grande modestie.
Charlotte Billabongk
Merci à vous aussi.
Nicolas
Merci Charlotte. C'est précis, c'est bien détaillé. Et surtout c'est du vécu. Cela se ressent profondément.
Vive le thé qui permet de placer l'attitude méditative en avant, au delà de croyances.
Un article à lire puis relire quelques jours ou quelques mois après…
Nicolas
Charlotte Billabongk
Merci !