Long Jing
Il me reste encore un peu du fameux Long Jing produit par M. Zhu, à Mei Jia Wu. Il faut donc que j’en profite pour faire un deuxième article à ce propos. Le premier traitait d’une récolte très précoce (fin Mars), alors que celui auquel je ferai référence aujourd’hui a été récolté le 5 Avril 2012, autrement dit, le jour de Qing Ming. Il provient de théiers anciens, âgés d’environ 400 ans, et, est travaillé dans la plus pure tradition, de manière artisanale, cela va sans dire. C’est aussi l’occasion de faire une promenade dans ce petit village célèbre.
J’ai remarqué que sur le web, certains vendeurs qualifient d’excellents producteurs de Maîtres. Cela m’a tout d’abord évoqué un aspect un peu marketing (et cela doit parfois être le cas)… et puis finalement, je crois que ce n’est pas si éloigné de la vérité. En effet, quand je vois l’authenticité du travail, le soin apporté aux détails, et le haut niveau de maîtrise de certains producteurs, je ne peux que dire, oui, ce sont bel et bien des Maîtres dans leur domaine. Bien sur, il ne faut pas oublier qu’ils sont paysans (au sens noble du terme) avant tout, souvent depuis plusieurs générations, et reconnus par les professionnels du thé comme tels. La langue chinoise offre des termes plus précis pour désigner ces personnes. Le mot “maître” est souvent utilisé en Occident, mais pas toujours de manière totalement appropriée. N’oublions pas que ce terme comporte différentes nuances…
Le village de Mei Jia Wu se situe a environ 30 minutes en voiture de la ville de Hangzhou (province du Zhejiang). On se trouve donc au coeur de l’appellation “Xi Hu” (autrement dit: Lac de l’Ouest), dans un terroir très spécifique et un micro-climat particulier qui donnent au Long Jing ses caractéristiques typiques. Cet environnement riche, baigné de brumes et d’une douce luminosité, est célèbre pour la culture de thé, depuis les temps anciens. La plupart des habitants des villages comme MJW, travaillent dans le domaine du thé. Pour de nombreuses familles, les jardins de thé, et le savoir-faire sont transmis de génération en génération (M.Zhu, quant à lui, représente la sixième “génération théière” de sa famille).
La maison des Zhu se situe tout en haut du village. Les jardins de thé se trouvent juste derrière la maison qui se compose d’une partie ancienne, et d’une partie récente et moderne. L’habitation des ancêtres est entretenue avec le plus grand soin et dédiée, depuis quelques années, à accueillir toute personne souhaitant prendre un repas typique des campagnes de cette région. Cette activité secondaire est pratiquée par la plupart des petits producteurs (il suffit de venir à la bonne heure, et on vous sert à manger!). Et, croyez-moi, on se régale vraiment. Quant à atelier de fabrication, il se trouve sur la rue principale, en bas de Mei Jia Wu.
Chez les Zhu, on ne pratique qu’une seule cueillette par an, celle de printemps, qui a lieu sur une vingtaine de jours. C’est une période très chargée pour la famille. Tout le monde travaille “d’arrache pied” pour obtenir le meilleur des fameuses petites feuilles. Le reste de l’année, les théiers, anciens et nouveaux (environ 30 ans) sont taillés et bichonnés. Ils n’ont plus qu’à se reposer. Cela leur permet de renaître après l’hiver, régénérés et prêts à offrir de jeunes pousses pleine de vitalité et de sève aromatique.
Sur la photo ci-dessus, vous pouvez voir la menue récolte d’une cueilleuse pour une matinée. La cueillette étant extrêmement fine et précise, on n’obtient que de très petites quantités. Les planteurs comme M.Zhu recherchent la qualité avant tout. Cela leur permet non seulement de rester dans le respect du thé et de la nature, mais aussi, des traditions. Et cela leur assure également des revenus généreux, ainsi qu’une réputation solide.
Le fait d’exploiter des plantations de thé dans les villages cotés comme celui-ci développe chez certains, diverses pratiques pas toujours très honnêtes. L’une d’entre elles consiste à faire venir des feuilles fraîches (ou presque) d’autres provinces, pour les travailler sur place dans le but de leur faire bénéficier de l’appellation ” Long Jing”, et de la notoriété locale. Cette pratique concerne tous les villages célèbres pour leur production: Long Wu, Mei Jia Wu, Long Jing (où se situe Shi Feng), Hu Pao, Yun Xi… Les thés ainsi obtenus peuvent facilement être vendus aux non connaisseurs du monde entier, aux touristes, aux revendeurs peu scrupuleux ou bernés, etc… Le monde du thé est vraiment complexe, et on y trouve bel et bien le meilleur comme le pire.
Lorsqu’on voit la surface des jardins, on comprend très vite que les quantités produites sont forcément restreintes. Par conséquent, même sur place, on trouve des “faux crus”. Cela reste regrettable, mais il en est ainsi. Et puis, il y a aussi les producteurs qui récoltent de manière plus intensive, et, qui travaillent le thé avec des méthodes autres que le traditionnel wok (méthode qui requiert du temps, de la maîtrise, de la patience) afin d’obtenir un meilleur rendement… On peut aujourd’hui voir, dans ces célèbres campagnes autour de Hangzhou, des machines de fabrication qui, en soit, n’ont rien à se reprocher, mais qui ne permettent pas de travailler le Long Jing de manière traditionnelle. Le résultat peut paraître attractif, mais encore une fois, le goût authentique de ce thé reste absent, ou presque. Cela souligne combien la méthode de fabrication et le terroir sont importants, et que tous les facteurs doivent être réunis pour obtenir des thés de qualité.
Les autorités chinoises, représentées par les Instituts de Thé, dont l’un des plus reconnus se trouve à Hangzhou, connaissent parfaitement les différents producteurs et évaluent chaque année la qualité et l’authenticité de leur production (déterminant au passage, les prix du marché). Mais chaque producteur reste libre de travailler comme il le souhaite. Actuellement, les thés de certains producteurs de Mei Jia Wu obtiennent les notes les plus élevées, loin devant des jardins pourtant très célèbres, comme Shi Feng par exemple. Cependant, chaque année est différente, un même thé toujours nouveau. Mais il faut simplement savoir que le nom d’un jardin, ou d’un lieu n’est pas nécessairement synonyme de qualité, ni d’authenticité, d’ailleurs. (Et je ne parle même pas des mille et un Long Jing produits complètement en dehors du terroir d’origine…)
Le petit village de Mei Jia Wu, entourées de jardins de thé, de forêts touffues comprenant différentes essences d’arbres dont les fameux camphriers qui caractérisent le terroir, se compose de maisons blanches aux toits anthracites. A la sortie du village, il y a une grande forêt de bambous qui abrite de nombreux arbres centenaires et millénaires (dont des ginkgo majestueux). Ce lieu magique est connu pour purifier le coeur de ceux qui s’y promènent.
Cette paisible campagne recèle une grande richesse historique, et dégage une atmosphère paisible, harmonieuse. Lors des récoltes, on ressent l’effervescence, l’implication dans le travail, mais sans stress. Le reste de l’année, le rythme est plus lent, bien que les tâches restent nombreuses et importantes. La nature, les saisons, le thé constituent le coeur de la vie des habitants. Dans les campagnes, comme dans la ville de Hangzhou, il y a une douceur de vivre, une vibration sereine, célèbre dans toute la Chine, et réputée depuis la dynastie Song, époque durant laquelle les lettrés, les artistes, se délectaient de cette mystérieuse atmosphère qui incite à la contemplation et à la créativité.
L’énergie mystique du Lac de l’Ouest, ainsi que celle des collines alentours règnent sur la région, comme une protection bienfaisante. Le thé bénéficie naturellement de cette énergie. Ce n’est certainement pas un hasard si Long Jing est devenu le cru le plus célèbre de Chine.
Revenons maintenant à la dégustation du Long Jing de M.Zhu, récolté sur les théiers anciens (dont la force de vie est épatante), le 5 Avril 2012. Les feuilles sont bien sur plates, duveteuses et d’un vert qui évoque toute la fraîcheur du printemps.
Je le prépare dans un zhong en porcelaine rouge (très kitsch, mais que j’aime beaucoup pour sa gaité) sur lequel sont représentés dans un style “manga”, des mariés en tenue traditionnelle chinoise. Je verse un peu d’eau (environ 90°C) pour réchauffer la tasse, puis je jette et place les délicates feuilles. Il émane un parfum suave délicieux. Encore un peu d’eau, juste assez pour recouvrir les feuilles et les faire délicatement tourner dans la tasse, afin de les humidifier et les préparer à l’infusion. Le parfum est alors bien plus prononcé. Vient maintenant le moment de verser l’eau, selon les “3 Inclinaisons du Phoenix”, qui permet de faire rouler les feuilles sur elles-mêmes. Cette technique est spécifique à la préparation du Long Jing, selon l’art du thé chinois. Elle permet vraiment de “booster” les arômes de ce cru. J’en profite pour souligner qu’en Chine, les thés verts se préparent avec une eau très chaude, aux alentours de 90°C.
Les saveurs typiques du Long Jing, aux notes de châtaignes grillées se révèlent en bouche de manière intense, mais tellement délicate. Ce thé développe richesse aromatique et persiste longtemps au palais. Sa texture est pleine et soyeuse, laissant un voile parfumé sur la langue. Excellent. Le goût des théiers anciens m’ évoque toute l’histoire de ce thé, comme un voyage temporel- gustatif, que je retrouve chaque année, avec un bonheur toujours plus grand.
Sa vibration unique se diffuse finement dans le corps, procurant cette sensation particulière de bien-être, inhérente au Long Jing. Cette énergie singulière peut faire partie des critères pour déterminer l’authenticité et le niveau de qualité de ce cru, au même titre que les éléments plus physiques. Afin d’être réceptif, on se plonge dans le va et vient des respirations, le mental se calme tout naturellement. On peut ainsi recevoir les messages du corps, du coeur et percevoir la vibration du thé. Lorsqu’on goûte un thé, cela peut faire toute la différence.
Les photos
1, 11, 12: divers jardins de thé, à Mei Jia Wu
2, 13, 14, 15: Mei Jia Wu, le village
3: M.Zhu
4, 5, 8, 23, 24: le jardin de M.Zhu
6: l’atelier, vue extérieure (à gauche), 9: l’atelier de fabrication des Zhu
7: la maison ancienne des Zhu
16: Lac de l’Ouest (Xi Hu, Hangzhou)
17, 18, 19, 21, 22: MJW Long Jing, 5 Avril 2012, produit par les Zhu
20: Mme.Zhu
25: les camphriers en pleine floraison (vert clair)
10 comments
vacuithe
très beau billet, merci pour la visite !
Philippe de Bordeaux filipek
Un voyage…
Cela donne envie de s'y rendre!et au hasard déguster un Long Jing…
Charlotte Billabongk
Merci à tout les deux. Et bons Long Jing!
David
Un grand merci pour cette visite au pays du Long Jing.
Mars
Quel voyage ! On a l'impression d'y être. Merci.
Thécat
Merci pour cet article très instructif et qui tombe à pic car je suis dans une période Long Jing.
J'ai tenté ta méthode d'infusion. Je modifierai les temps d'infusion car la liqueur obtenue était amère mais il faut aussi préciser que le LJ que j'ai utilisé n'est pas de la meilleure qualité.
Annabelle
Charlotte Billabongk
Merci a tous.
La beauté des campagnes autour de la ville de Hangzhou est extraordinaire. En Chine, on dit: "Au Ciel, il y a le paradis; sur Terre, il y a Hangzhou". Boire le Long Jing produit ici permet de goûter un peu à ce paradis!
edp
Il me semble que ta citation est incomplète. Habituellement, on lit et on entend :
上有天堂,下有苏杭
(Au Ciel il y a le paradis, et sur Terre SuZhou et HangZhou).
Il faut rendre honneur à SuZhou aussi. Surtout que pour la partie "purement ville", HangZhou a davantage été industrialisée et SuZhou a conservé un cachet plus proche des temps anciens.
Charlotte Billabongk
Oui, c'est tout a fait exacte, ma citation était approximative. Tu as bien fait de le souligner, car j'essais d'éviter les "à peu près" qui ont tendance à m'agacer! Comme quoi… De plus, je suis entièrement d'accord, il faut aussi rendre hommage à Suzhou, dont la beauté et la douceur de vivre sont tout aussi palpable qu'à Hangzhou.
Je suis tellement éprise de Hangzhou et ses alentours, que parfois, mon objectivité en prend un coup. Néanmoins, cela ne devrait pas me conduire à des raccourcis, surtout lorsqu'il s'agit d'une ville comme Suzhou, ou de la Chine dans son ensemble, que j'aime tant.
La manière dont nous écrivons peut révéler bien des choses…
MERCI.
edp
Pas de souci c'était juste un petit correctif 😉