Cette pratique, originaire de Chine, est tenue en très haute estime dans les mondes du thé chinois, coréen et japonais, pour lesquels elle représente un très haut degré de raffinement. Mais que se cache-t-il exactement derrière ce terme: Art du Thé ? Il existe bien sur différents points de vue, surtout si on s’arrête sur le mot art. Mais concrètement, il s’agit de préparer un thé, avec une eau, des ustensiles appropriés, et une technique particulière. Autrement dit, il s’agit d’harmoniser le thé, avec les accessoires et la technique qui convient… C’est donc bien de l’art de la préparation dont on parle lorsqu’on évoque l’Art du Thé.
On réalise rapidement que pour préparer le thé, il existe de nombreuses manières de procéder, certaines étant officielles et traditionnelles, d’autres, plus personnelles. Chacun peut développer son propre style, ce qui est souvent le cas. Il faut donc distinguer un Art du Thé précis et codifié, issu d’un enseignement officiel, d’un Art du Thé issu de sa propre “popote”, souvent directement inspiré par le précédant. Et bien qu’on puisse faire une distinction, il n’y a pas pour autant de jugement de valeur pour essayer de définir si l’un serait supérieur à l’autre. La question n’est pas là. Et bien souvent, les deux s’entremêlent. On peut parfaitement découvrir et approfondir une discipline par soi-même. D’ailleurs avec le thé, on peut passer par bien des chemins, on fini souvent par faire, plus ou moins sa propre “popote”( sans pour autant faire n’importe quoi). Cela s’observe dans tous les pays. La pratique du thé doit avant tout rester un plaisir. Lorsqu’on reçoit l’enseignement d’un maître confirmé et authentique, on fini aussi par prendre quelques libertés, dans certaines circonstances. Soulignons que la présence d’une personne plus expérimentée, permet de nous guider et d’avancer de manière plus sure, plus pertinente.
Si nous prenons l’exemple de la Chine, nous nous apercevons que les différents Gong Fu Cha, issus de diverses traditions locales, peuvent être enseignés et pratiqués de manière académique (écoles et instituts de thé) avec un protocole et une précision bien établis. Néanmoins, un Gong Fu Cha peut également être exécuté en l’absence de protocoles, simplement pour obtenir une liqueur de thé optimale. De même, au Japon, le matcha sera souvent préparé et servi convenablement, tout à fait en dehors de l’art du Cha No Yu. De plus, il faut savoir que dans ces pays de “traditions théières”, l’Art du Thé n’est pas forcément une pratique courante; tout un chacun ne pratique pas l’Art du Thé (de même que tout un chacun ne pratique pas la poésie, ou la musique, etc), bien qu’il existe, de manière générale, un profond respect du thé, et de sa préparation.
Le premier but recherché lorsqu’on pratique l’Art du Thé: obtenir le meilleur des feuilles, quelle quelles soient. D’un point de vue purement technique, l’expérience montre bien l’importance du choix des ustensiles, de l’eau, et de la méthode de préparation, puisque le thé s’en trouve directement affecté. Donc, l’Art du Thé représente déjà, une recherche pour sublimer ce précieux breuvage. On peut facilement vérifier l’impact que peuvent avoir les ustensiles et les différentes méthodes de préparation sur le thé lui-même (même ordinaire). Lors de mes entraînements au Gong Fu Cha du Fujian par exemple, j’ai souvent eut l’occasion de préparer des wulong plutôt basics qui se trouvaient absolument transformés par ce type de préparation. Les parfums et saveurs donnent le maximum. Les gestes de la préparation du thé ne sont pas non plus le fruit du hasard. Un exemple: verser l’eau selon les “trois inclinaisons du Phoenix”, lors de la préparation du Long Jing, permet d’une part, de sublimer les parfums et arômes de ce cru en particulier, et d’autre part, donne l’occasion de travailler sa souplesse intérieure (qui sera d’ailleurs révélée au moment d’exécuter le geste). La gestuelle de l’Art du Thé offre la beauté, mais relève aussi toujours d’un aspect purement pratique.
Evidemment, la recherche ne s’arrête pas là. On touche également à des valeurs purement esthétiques, consistant à mettre en scène la beauté, à travers les éléments extérieurs: thé, environnement, accessoires… Dans certains cas, celui qui pratique vise principalement ces aspects purement technique et esthétique. Mais il s’avère aussi très souvent que, à force de pratiquer, on ressente qu’il y a autre chose… L’Art du Thé développe naturellement la concentration, le calme intérieur et la sensibilité. Plus on pratique, plus on affine non seulement sa technique, sa gestuelle, et son attitude, mais on travaille également sur ce qui est à l’intérieur de soi. Il peut alors se développer une démarche spirituelle.
Cette dimension de l’esprit s’exprime concrètement à travers ce que l’on appelle la Cérémonie de Thé, une forme plus ritualisée de l’Art du Thé, qui comprend non seulement l’harmonie extérieure et la volonté de sublimer le thé, mais qui comporte surtout l’implication dans un travail intérieur (adhésion au présent, observation du souffle, partage authentique, expression des vertus du thé: Harmonie/He, Respect/Jing, Pureté/Jing, Silence/Ji). La cérémonie est une méditation dans l’action. Le thé est donc considéré comme une Voie de réalisation. L’Art du Thé peut conduire à cette Voie.
Tenir compte de l’Art du Thé marque un profond respect envers cette boisson et les objets qui permettent de la préparer. Mais il représente aussi, comme d’autres formes d’art, un moyen d’expression, une manière de sublimer ce qui est à l’intérieur et à l’extérieur de soi. D’ailleurs cette discipline accroit naturellement l’intérêt pour toutes les formes d’art. Depuis les temps anciens, lettrés et artistes partageaient l’amour de la beauté, de la nature, et la recherche d’harmonie, pouvant s’exprimer à travers le thé, la poésie, la calligraphie, etc… On s’aperçoit que ceux qui se sont illustrés dans une discipline artistique particulière, avaient presque toujours une affinité avec le thé. Il se retrouve ainsi également au coeur de nombreuses oeuvres.
Le thé favorise tout simplement le calme, la clarté et la créativité. Plus on en boit, plus ces qualités s’éveillent, apportant une meilleure compréhension du thé et de nous même. Tous les sens participent à la préparation du thé, ce qui accroit la concentration et l’élan de création. Petit à petit, on va spontanément créer les circonstances qui nous conviennent pour prendre du plaisir avec l’Art du Thé, seul ou en compagnie. Et comme toute discipline, le thé demande de l’entraînement. On peut aisément pratiquer tous les jours, en toute simplicité.
Le thé est donc un art, au sens plus large. En Chine par exemple, on peut voir que les créations artistiques dans le domaine du thé, sont nombreuses et sans cesse renouvelées. En Occident également, le thé est devenu une source d’inspiration d’une richesse inépuisable (les divers blogs qui existent aujourd’hui en sont un témoignage probant!)…
Nombreux sont ceux qui participent au mouvement de création du thé: paysan- fabricants, potiers, artisans qui élaborent les divers objets du thé, amateurs avertis, etc… mais c’est à la nature que revient l’origine même de cet élan. La proximité avec les rythmes naturels permet d’exprimer la fluidité, l’harmonie, et l’authenticité avec beaucoup d’aisance, lorsque nous préparons du thé.
On peut observer l’expression artistique à travers le thé, dans de nombreux pays et sous bien des formes. Tout en souplesse, le thé s’adapte à toutes les cultures et traditions. Il représente donc un moyen d’expression sans frontières, qui peut toucher le coeur de tout un chacun.
7 commentaires sur “Art du Thé”
David
Encore une fois, tu nous offres un très belle réflexion sur le Thé. Merci.
PS : très beaux objets.
Lihua pour les Arts et la Culture Chinoise
"dans ces pays de "traditions théières", l'Art du Thé n'est pas forcément une pratique courante; tout un chacun ne pratique pas l'Art du Thé (de même que tout un chacun ne pratique pas la poésie, ou la musique, etc), bien qu'il existe, de manière générale, un profond respect du thé, et de sa préparation."
En France, c'est la même chose pour le vin. Avec la culture des terroirs et l'oenologie, la France a tout ce qu'il faut pour comprendre les "traditions théières".
Bravo pour ce bel article et pour les belles photos.
Charlotte Billabongk
Merci pour vos commentaires.
Avec les objets, comme avec le thé, j'aime faire des photos. Cela m'amuse beaucoup. Pour ce post, j'ai réuni quelques photos qui étaient en réserve.
Il est vrai que les français en particulier, et les européens en général, ne connaissent pas forcément le monde du vin, même s'ils en consomment. Et il est vrai aussi, que le vin peut aider à comprendre le thé. Toutefois, le parallèle thé/vin comporte aussi ses limites et peut même être réducteur parfois, puisque certaines dimensions du thé sont absentes dans le monde du vin…
David
En ce qui me concerne, je trouve que les points communs entre le thé et le vin sont légion. Mais cela vient sans doute du fait que je ne prête pas au thé dans ma pratique de dimension spirituelle, méditative ou autre, ce qui ne m'empêche pas de le respecter et de l'apprécier. Du coup, en observant la tradition du vin, la culture de la vigne, la conception du vin, sa dégustation jusqu'à l'ivresse qu'il provoque, je vois de plus en plus de passerelles entre ces deux mondes.
Excellente semaine.
Fred
Certaines dimensions du thé sont absentes dans le monde du vin, c'est vrai. La dimension spirituelle du vin existe aussi, même si elle est un peu oubliée (cf. Rabelais, tradition chrétienne et d'autres).
La comparaison permet d'étendre la compréhension si on évite les généralisations réductrices…
Unknown
Bonjour Charlotte,
Et bien cet article est bouleversant ! Il m'inspire un profond respect car on ressent bien que tu vis le thé pleinement et tu l'exprimes avec sensibilité et intelligence. Cet article ouvre pour moi bien des horizons insoupçonnés. J'ai du mal à exprimer le sentiment qui m'envahit en te lisant, les mots me manquent. Ce que je veux dire c'est que tu t'exprimes avec une grande sincérité et l'on devine une grande sagesse. Depuis combien de temps pratiques-tu le thé ?
Merci pour cet article.
J'ai hâte de te lire à nouveau.
Charlotte Billabongk
A nouveau, merci pour vos commentaires.
Nous sommes surement tous d'accord: le parallèle thé et vin permet en effet de comprendre certaines choses, mais il a ses limites… voilà tout. Et c'est logique, les comparaisons ont souvent leurs limites.
Tanta Meno, je suis heureuse que cet article te plaise et t'inspire. Je m'exprime en toute franchise, et c'est certainement tout l'intérêt d'un blog. Je pratique le thé sérieusement depuis 2003. Avant cela, je consommait bien sur du thé, mais de "manière plus occidentale"…